Rencontre avec Olivier Peyroux, sociologue, auteur des Fantômes de l’Europe. Les migrants face aux politiques migratoires, paru en août 2020 aux éditions Non Lieu. Il est aussi le cofondateur de Trajectoires, association spécialisée dans la prise en compte des populations migrantes habitant en bidonvilles et squats en France.
Quels sont les points communs entre les habitants des bidonvilles d’hier et ceux d’aujourd’hui ?
Olivier Peyroux : La grande majorité des habitants des bidonvilles, aujourd’hui comme hier, sont des étrangers. Hier, ils étaient Espagnols, Portugais, Algériens ; aujourd’hui, ils sont en majorité Roumains ou Bulgares. Il existe aussi des bidonvilles de migrants extra-communautaires. Ensuite, il faut noter qu’en France, le bidonville est la norme et non l’exception. Il y en a toujours eu en région parisienne depuis 1945, sauf pendant une période de vingt ans. À part l’Italie, il n’y a pas de pays d’Europe qui concentre autant de bidonvilles. En 2015, quand l’Allemagne a accueilli un million de demandeurs d’asile, elle s’est donné les moyens pour leur garantir un hébergement, en passant parfois par des réquisitions. En France, la politique d’accueil n’a pas changé et les conditions de vie dans les bidonvilles non plus. Aujourd’hui comme hier, l’accès à l’eau est très compliqué. Et les images de 2020 ressemblent étonnamment aux images d’archives. L’économie du bidonville est aussi similaire. Déjà du temps de Nanterre, il y avait des systèmes de sous-location, un peu comme des marchands de sommeil. Il n’y avait pas forcément que de la solidarité – l’un n’empêche pas l’autre –, il y avait aussi des personnes, souvent de la même communauté, qui profitaient d’être arrivées un peu plus tôt pour faire payer des cabanes aux derniers arrivants, surtout les clandestins. Aujourd’hui c’est pareil, les gens paient un droit d’entrée dans le bidonville, parfois même un loyer.
Que nous enseigne l’histoire de bidonvilles comme celui de Nanterre ?
O. P. : D’abord que la vie en bidonville n’a rien d’un choix culturel, on est bien sur une politique du logement défaillante, surtout pour l’accueil des familles. Contrairement à ce qu’on pense souvent, les habitants des bidonvilles ne veulent pas vivre dans les marges. Il n’y a pas de fatalité : l’histoire montre que la plupart des personnes passées par un bidonville vont pouvoir s’intégrer par la suite, par le travail notamment. À Nanterre, les familles venaient de régions différentes, avec des niveaux sociaux et de qualification très différents. Face à une population hétérogène, il faut travailler au cas par cas. Ce qui convient aux nouveaux arrivants, c’est d’accéder le plus vite possible au droit commun – mais dans le respect des singularités de chaque personne ou de chaque famille. La scolarisation des enfants est essentielle. Actuellement, seulement la moitié des 6-16 ans qui vivent en bidonvilles en France vont à l’école ! Quel avenir prépare-t-on aux autres ? Il faudrait que les mairies, l’Éducation nationale ou l’aide sociale à l’enfance s’emparent de ce problème. Car la demande de scolarisation est souvent très forte dans les familles, comme ça l’était déjà dans le bidonville de Nanterre. Sans scolarisation massive, c’est toute une génération qui sera en difficulté.
Comment agir pour permettre aujourd’hui aux habitants des bidonvilles de s’installer ?
O. P. : Dans les années 1960, 350 000 personnes environ vivaient en bidonvilles. Aujourd’hui, on estime leur nombre à environ 16 000 dans toute la France. Les moyens à mettre en place sont donc beaucoup moins importants. C’est plus simple pour les étrangers venant de l’Union européenne, qui ont le droit de travailler et n’ont pas de problèmes de papiers. Intégrer les migrants extra-communautaires nécessite de trouver un statut administratif qui leur permette de rester légalement. Aujourd’hui, les bidonvilles – surtout de migrants extra-communautaires – sont régulièrement démantelés pour se recomposer plus loin. Cela perturbe énormément l’accompagnement social des expulsés, qui doivent recommencer toutes leurs démarches à zéro. Cela les éloigne des administrations. Il faudrait donc envisager une phase de stabilisation des bidonvilles avec des services de base (accès à l’eau, gestion des ordures et un ramassage scolaire) et voir le bidonville comme un sas vers l’insertion des populations. Et surtout pas comme une fin en soi.
Pourquoi cette politique de dispersion continuelle ?
O. P. : Elle vient surtout des communes qui ont peur de payer électoralement l’installation d’un bidonville sur leur territoire. Elles font donc pression auprès des préfectures pour obtenir l’expulsion, voire pour freiner la scolarisation des enfants. L’objectif de ces personnes est de travailler, dans des métiers manuels souvent en tension. Or, leurs conditions de vie engendrent plus de difficultés que leur arrivée et cette politique de rejet crée plus de problèmes sociaux qu’un accueil classique. Les dernières impulsions au niveau de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) vont dans le bon sens. Elle recommence à parler de bidonville, là où elle disait auparavant camp ou campement. Elle s’inscrit donc dans une histoire et une politique de résorption des bidonvilles menée dans les années 1960-1970, et dont Nanterre a été une des dernières communes à bénéficier.