dans la jungle de Calais, nous avons rencontré des musiciens qui vivent dans les camps de réfugiés. Nous voulons leur ouvrir des scènes.
Arrivée en France avant l’embrasement de son pays pour suivre des études, Waed Bouhassoun a vécu dans une résidence universitaire de Nanterre. « Mes études m’ont aidé à accepter l’autre. Plus généralement, la France m’a ouverte sur les cultures des autres. » Elle confie que les premières années ont été difficiles. Être étudiante dans une langue qu’elle ne maîtrisait pas, se dépatouiller dans le dédale administratif a été un « cauchemar ».
Et puis, elle a vu la situation de la Syrie dégénérer. Les massacres du régime, l’invasion des djihadistes, la destruction d’Alep… « Aujourd’hui, je vis dans l’inquiétude. Je suis en contact avec mes parents qui vivent dans le sud de la Syrie, mais je ne sais pas ce qui se passe vraiment. » Une fois par an, elle prend un billet d'avion pour Beyrouth et monte dans une voiture en direction de son village situé à 1 heure 30 de Damas. « En 2013, alors que nous roulions la nuit feux éteints sur les conseils des soldats, nous entendions les tirs des snipers… » Sur place, elle retrouve des gens fatigués de vivre dans la peur de ne plus avoir d’eau ou d’électricité. « Cette situation était inimaginable quand j’ai quitté le pays en 2010. Je rappelle qu’il y a six ans Bachar al-Assad était reçu à l’Élysée, que le pays s’ouvrait au monde. Le conservatoire de Damas organisait pour nous des voyages d’étude en Chine, en Espagne ou en Tunisie. C’est un immense gâchis et j’en viens à me dire que tout le monde est responsable ! »
LA MUSIQUE COMME REFUGE
Elle réagit à cette catastrophe en se tournant vers les réfugiés des camps de Calais et de Thessalonique. « Avec mon ami, le chanteur catalan Jordi Savall, nous menons un projet soutenu par l’Union européenne. Après un concert donné dans la jungle de Calais, nous avons rencontré des musiciens qui vivent dans les camps de réfugiés en France et en Grèce. Nous voulons leur ouvrir des scènes pour qu’ils puissent à nouveau jouer de la musique devant un public. » Ce projet lui redonne de la force et de l’espoir. La musique comme réconfort. La jeune druze se réfugie aussi dans les poèmes mystiques et la littérature soufi e qu’elle met en musique dans ses albums. Son jeu délicat de l’oud, instrument traditionnel, s’écoute comme on admire une broderie précieuse. « J’ai découvert l’oud à l’âge de sept ans. Mon père l’avait acheté pour mon frère qui ne s’y intéressait pas. Cet instrument complète ma personnalité, il est devenu un ami. Quand je prends l’avion, je réserve un extra seat pour lui », dit-elle dans un sourire qui sera le seul de notre rencontre.
Dans son dernier album, sorti en septembre, elle chante des poèmes bédouins avec un timbre de voix qui rejoint la sonorité de la flûte ney de Moslem Rahal. « Cet album est moins angoissé que le précédent. » Avec sa voix mélancolique et intense, elle éveille les émotions les plus intimes, les plus bouleversantes. L’Académie Charles Cros ne s’était pas trompé en lui attribuant son coup de cœur en 2009, à la sortie de son premier disque. Le chanteur Jordi Savall non plus, quand il lui a demandé de le suivre dans sa tournée qui rassemble des musiciens de quinze nationalités différentes. « J’ai beaucoup de chance, je donne plusieurs concerts par mois. Entre deux dates, j’essaie de rédiger ma thèse. » Cette vie pourrait s’apparenter à un rêve… si seulement une guerre à 4 000 kilomètres de Paris ne faisait pas de l’ombre au tableau.
Vendredi 24 mars à 20h30
Maison Daniel-Féry, 10, boulevard Jules-Mansart.
Tarif plein : 14€