À 24 ans, l’agence Gamma l’envoyait couvrir l’effondrement du bloc soviétique. En 1989, il photographie la révolution roumaine, publie ses images dans Stern et Time Magazine et gagne un prix World Press Photo dans la foulée. Deux ans plus tard, il se rendra en Irak pour rapporter des clichés de la guerre du Golfe. Mais Gilles Saussier est insatisfait, il ne veut pas être un « fournisseur d’images ». Chasser l’instant spectaculaire aux dépens des mouvements de fond historiques le frustre. Le photographe, qui a l’âme à la fois d’un artiste et d’un universitaire, entend produire du sens et refuse de figer les récits de l’histoire.
DU PHOTOREPORTAGE À L'ART CONTEMPORAIN
Alors il pratique l’art du contre-pied en s’installant au Bangladesh, loin de l’actualité médiatisée et démissionne de l’agence Gamma. Gilles Saussier décentre son regard vers « la contre monumentalité », comme il dit. Les portraits pris dans le quartier hindou de la vieille ville de Dhaka l’engagent sur le terrain du documentaire expérimental. Sa lecture critique du photoreportage l’amène doucement vers l’art contemporain et lui ouvre bientôt les portes de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles où il apprend à ses étudiants à ne pas tomber dans les facilités de cet art. De retour en France, il entreprend des études d’anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales avant de retourner en Roumanie où il s’applique à déconstruire la vision de l’histoire qu’il a contribué à donner avec ses images publiées quelques années plus tôt.
UNE ENFANCE SUR LES BORDS DE SEINE
Aujourd’hui, Gilles Saussier est en résidence durant quatre mois à Nanterre. Une ville qu’il connaît bien puisqu’il a grandi sur l’autre rive, à Carrières-sur-Seine. Au milieu des années 1980, il était étudiant à l’université de Nanterre. « C’est un retour sur les lieux de ma jeunesse. Cela faisait vingt ans que je n’étais pas revenu dans le quartier de l’université, je ne l’ai pas reconnu ! » Les transformations urbaines le préoccupent. Selon lui : « On repousse toujours plus loin du centre de Paris les populations pauvres et on détruit les paysages désordonnés. » Gilles Saussier cite Michel Foucault et son concept d’hétérotopie pour parler de ces périphéries grignotées par les urbanistes. À la fin des années 1980, il s’intéressait déjà à ces « espaces indéterminés » qui sont pour lui des « réserves d’imaginaire ». Son premier reportage photo, il l’a effectué sur l’île de Chatou où les derniers habitants menacés d’expulsion vivaient alors sans eau et sans électricité. Les images de cette « robinsonnade » lui ont valu une publication dans The Independant et une embauche à l’agence Gamma. Gilles Saussier aimerait beaucoup retrouver ces familles qui ont été relogées à Nanterre. « Je me souviens du petit Bruno qui allait à l’école à Nanterre en barque le matin. »
RETROUVER LES NANTERRIENS
De mars à juin, le photographe va également aller à la rencontre des habitants dans les collèges et dans les centres sociaux pour savoir comment ils surnomment leur quartier et leur îlot, pour identifier les lieux-dits qui ne figurent pas sur les cartes officielles. « J’ai envie de rendre visible la mémoire populaire de cette ville, de rappeler l’histoire de la cité blanche et des bidonvilles dont les traces ont été effacées du paysage mais qui demeurent dans les esprits. J’aimerais concilier cet imaginaire et la réalité des aménagements. » Gilles Saussier restituera ces échanges dans la vitrine de La Terrasse, donnant sur la place Nelson-Mandela. Au fil des rencontres et des contributions des habitants, l’exposition évoluera. Le travail artistique et anthropologique de Gilles Saussier est une exploration de notre ville, de ses représentations mentales et des imaginaires qui la façonnent.