Ils font Nanterre

Portrait

Collectif du 17 octobre devoir de mémoire

Écrit par : Guillaume Gesret

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À Nanterre, un collectif associatif se mobilise chaque année pour rappeler ce qui s’est passé le 17 octobre 1961. Selon ces militants, une reconnaissance officielle de l’état permettrait d’apaiser les tensions entre la France et la population issue de l’immigration algérienne.

La date du 17 octobre 1961 hante encore beaucoup de familles nanterriennes. Près de soixante ans plus tard, la cicatrice n’est pas refermée. Ce jour-là, les habitants des bidonvilles décident de manifester dans les rues de Paris contre le couvre-feu imposé quelques jours plus tôt par la préfecture de Paris. La manifestation pacifique est organisée par le FLN (Front de libération nationale), alors que la guerre d’Algérie n’est pas encore terminée. La réponse policière sera terrible. Des dizaines d’Algériens, peut-être entre 150 et 200, sont exécutés. Certains corps sont retrouvés dans la Seine. Les historiens s’accordent à écrire qu’il s’agit d’un des plus grands massacres de l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale. « Mes parents ont participé à cette manifestation, raconte Ahmed Djamaï, président de l’association Cité 2000 à Nanterre. Ma mère a gardé une cicatrice à la main à cause d’une balle perdue. » Pour ce militant associatif, commémorer le massacre du 17 octobre 1961 est un devoir de mémoire. « Je le fais pour mon père qui n’est plus là pour raconter ce qu’il a vécu. » Messaoud Bouzenzene appartient également au collectif nanterrien qui s’est créé au début des années 2000 dans le but de faire la lumière sur cet épisode sombre de l’histoire de France. « J’avais 5 ans en 1961, je ne comprenais pas pourquoi tout le monde courait dans tous les sens. C’était la panique, les gens voulaient s’abriter, car la police exécutait et raflait les Algériens. Je me souviens qu’une famille française nous a hébergés pendant trois jours. »

Une semaine de mobilisation et de commémoration

Ce massacre a longtemps été occulté en France, la violence policière déployée lors de la manifestation au métro Charonne en février 1962 est restée plus vive dans la mémoire collective. La lumière sur l’ampleur du massacre s’est faite à l’occasion du procès de Maurice Papon en 1997-1998. Le dossier du 17 octobre 1961 a surgi dans l’espace médiatique et l’historien Jean-Luc Einaudi en a profité pour publier une tribune dans laquelle il employait le terme de « massacre ». Papon a trouvé bon de poursuivre Einaudi pour diffamation. Il a été débouté de sa plainte et le terme « massacre » a été considéré comme légitime par le tribunal en 1999. C’est à ce moment que plusieurs militants associatifs ont formé un collectif à Nanterre pour aller plus loin dans la reconnaissance.

« La mairie de Nanterre a très vite compris que la reconnaissance morale de la part des autorités publiques était importante », souligne Abdelmalek Hamchaoui, autre membre du collectif et président de l’association Espoir de l’Algérie. En 2003, Jacqueline Fraysse, alors maire de Nanterre, dépose une plaque devant la préfecture des Hauts-de-Seine. « Ce geste symbolique n’a pas plu à tout le monde, la plaque a été vandalisée à deux reprises. » En 2011, le maire, Patrick Jarry, inaugure à son tour le boulevard du 17-Octobre-1961 reliant la place Nelson-Mandela et le boulevard des Provinces-Françaises « Nous aurions aimé que François Hollande, devenu président de la République en 2012, tienne sa promesse en reconnaissant officiellement le massacre. Il ne l’a pas fait, la plupart des responsables politiques n’ont pas la volonté de commémorer le 17 octobre 1961 pour de basses raisons électoralistes. »

Pourtant, les membres du collectif sont convaincus qu’une reconnaissance officielle de l’État et une mention de cet événement dans les livres d’histoire enseignés à l’école permettrait de soigner les plaies qui subsistent entre la France et l’immigration algérienne. « Occulter l’Histoire n’arrange rien, cela crée du ressentiment et de la méfiance. Le dialogue est difficile dans ces conditions. » Le collectif s’emploie par conséquent à informer les jeunes générations en organisant des rencontres durant une semaine en octobre. Au programme : dépose de gerbes devant la plaque, interventions dans les écoles de Nanterre, rencontre avec les chibanis, présentation d’une exposition de photos et d’une fresque de l’artiste Lotfi Fardeheb, organisation de matchs de football au stade des bords de Seine. « La commémoration du 17 octobre rassemble des centaines de personnes à Nanterre, c’est une des villes les plus actives sur ce sujet. »