Ahmed Tazir n’avait jamais tourné à Nanterre. « Ce sont les circonstances qui m’y ont poussé. »
Reporter confiné
En avril dernier, ce journaliste était confiné comme tout le monde chez lui, au 18e étage de l’une des Tours Nuages avec vue sur la tour Eiffel. En voyant les élans de générosité de certains voisins et de l’association Dir el Kheir (qui se traduit par Faire le bien), Ahmed Tazir a eu envie de raconter la vie dans le quartier du Parc Sud en ces temps de confinement. Sa rédactrice en chef à LCP, Guilaine Chenu, lui demande alors d’« incarner » le reportage en se montrant à l’image. Filmé avec son masque, il est allé à la rencontre de familles, d’un sans-abri, des commerçants… « J’ai voulu recueillir le témoignage d’habitants des quartiers populaires qu’on ne voit jamais à la télé. Les médias sont un miroir déformant et l’image qu’ils véhiculent des quartiers prioritaires est très éloignée de la réalité. » Citant Pierre Bourdieu, Ahmed Tarzi prétend qu’on ne parle bien que de ce que l’on connaît. « Moi, je vis aux Pablo depuis vingt ans, je connais les forces et les faiblesses de ce quartier. Mon reportage montre, j’espère, les fractures et les nouvelles solidarités qui ont été révélées par la crise sanitaire. » Cet homme de 45 ans est arrivé à Nanterre en 1997 pour achever ses études de droit à l’université de Nanterre. Après quatre années passées à la cité U, il obtient un logement social dans une tour Aillaud où sa mère souffrante, sa sœur et son frère le rejoignent après avoir quitté définitivement le berceau familial de Montbéliard.
Générosité, simplicité
« Je suis très attaché à Nanterre. C’est une ville où une générosité et une simplicité se dégagent des habitants. Peut-être que ça me rappelle là où j’ai grandi, un quartier ouvrier à Montbéliard. » Il ajoute néanmoins que tout n’est pas rose dans la cité : « La mixité sociale fait défaut, le deal et les tensions avec la police posent problème… Mais il y a aussi de beaux exemples de réussite, à l’image du fils de ma voisine qui vient de réussir le concours de la magistrature. » Depuis toutes ces années, Ahmed Tazir est resté vivre à Nanterre alors que sa vie professionnelle l’invitait à habiter la capitale. L’an dernier, il a décidé d’acheter un appartement sur plan, à Nanterre bien sûr ! « J’attends les clés de mon futur logement, boulevard Émile-Zola, à Nanterre Préfecture. » Depuis qu’il a intégré les rédactions télé en 2001, il goûte son plaisir de quitter son appartement de l’avenue Pablo-Picasso, tôt le matin, pour aller travailler à l’Assemblée nationale à Paris ou au Parlement européen à Bruxelles. « Je fais le grand écart mais cela me permet de garder les pieds sur terre et de me rendre compte de la déconnexion de certaines de nos élites avec les quartiers populaires. »
Une interview sous les tirs
Ahmed Tazir a commencé le journalisme à France 2, puis enchaîné les piges pour LCP, I-télé, TV5. À 26 ans, il réalise une interview exclusive de Yasser Arafat dans son QG à Ramallah, menacé par les tirs de l’armée israélienne. Au tableau de ses souvenirs, il ajoute un reportage tendu sur le racisme en Corse pour France 3. En 2007, il devient correspondant de France 24 à Alger. « C’était un défi d’être journaliste sous Bouteflika. Les dirigeants algériens me traitaient d’espion français, ils m’ont mis trois jours en prison et me retiraient mes accréditations quand un reportage ne leur plaisait pas. » Ahmed Tazir, qui a pris 30 kilos, « à cause du stress », dans le pays de ses aïeux, finit par rentrer en France pour couvrir la campagne présidentielle de 2012. Il signe alors un portrait de François Hollande et un documentaire sur la diversité à l’Assemblée nationale avant de prendre les commandes de l’émission « Europe hebdo » sur LCP. Aujourd’hui, il rêve de documentaires qui montreraient les violences policières dans les banlieues ou bien l’espoir du peuple algérien face au lent déclin du régime Bouteflika.
Reportage « Ma cité confinée »