Ils font Nanterre

PORTRAIT

Oumou Kouyaté, infatigable militante

Écrit par : Catherine Portaluppi

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« La liberté, ça s’arrache ! »

C’est une femme enjouée, souriante, aux mains virevoltantes. Une pasionaria des droits humains et particulièrement des droits des femmes.

« Tu seras djelimousso ! » 2005, Paris : la vie d’Oumou Kouyaté, responsable commerciale export née en Côte-d’Ivoire, vient de basculer. À la fin d’un colloque consacré aux conflits qui ont déchiré son pays d’origine, la Nanterrienne prend la parole en tant que présidente du Collectif des Ivoiriens de France pour la démocratie et les droits humains (CIFDDH). Une intervention qui conduit l’un des experts présents à lui proposer de faire une thèse sous sa direction à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle va donc devenir « djelimousso », c’est-à-dire griotte en langue malinké ou, comme elle le dit joliment, « quelqu’un qui donne la parole et sait tirer avec tact et intelligence ce que les gens ont de meilleur en eux ». Sept ans plus tard, elle est docteure en anthropologie sociale et ethnologie, après une thèse sur la société civile en Côte-d’Ivoire. « Je suis une chanceuse car je viens de très loin. J’ai tout fait pour venir ici, pour avoir une place au soleil grâce à mon cerveau. Je suis un pur produit de la France ! »

Le féminisme, une force

Oumou Kouyaté a grandi dans la deuxième ville de Côte-d’Ivoire, une ville carrefour avec une mosaïque ethnique, « un peu comme à Nanterre, c’est pour cela que je me sens bien ici ». La vie y était rude : « L’école se trouvait à plusieurs kilomètres à pied, on n’avait pas l’eau courante, le soir il fallait étudier à la bougie. » À son arrivée en France en 1988, elle passe un diplôme supérieur d’université puis étudie le commerce international avant de découvrir, par hasard, l’anthropologie. Elle s’intéresse très vite aux questions de genre et de féminisme, en Afrique en particulier : « Toutes petites, on est mises dans un tube, d’où on ne doit pas sortir. Par exemple, dans ma famille, faire du vélo était interdit aux filles. Ça me révoltait. Mais chez moi le féminisme est une force. Dès qu’on me refuse quelque chose, je contourne l’obstacle pour arriver à mon but ! » Chercheure associée à l’EHESS à Paris, à l’université Félix-Houphouët-Boigny à Abidjan et à l’Institut du genre à Dakar, elle participe aux Congrès internationaux des recherches féministes dans la francophonie – le dernier a eu lieu à l’université de Nanterre en août 2018. « Dans l’imaginaire collectif masculin africain, la femme est un être mineur. Mais c’est aussi de notre faute, à nous les mères, quand on élève nos garçons comme des enfants rois pendant que les filles font la cuisine, les courses, le ménage. Les femmes africaines voient aussi trop souvent le mariage comme une réussite sociale. La liberté, ça s’arrache, comme l’indépendance face au colon. Tu ne peux pas demander à l’homme de te donner ta liberté, tu dois te battre pour ! »

Ascenseur social en panne

Bénévole à l’association Authenti-Cité, Oumou Kouyaté a organisé récemment une distribution de masques dans son quartier Pablo Picasso. Infatigable militante, elle mène en parallèle de nombreux combats, pour la création d’une monnaie africaine, contre l’abandon des soldats africains morts pour la France, contre la précarité dans les cités populaires, surtout parmi les populations immigrées : « Pendant la crise du Covid, la population basanée travaillait : des Noirs, des Arabes, des Indiens, c’est cette France-là, qu’on ne veut pas voir, qui était au front ! » Elle enrage particulièrement contre la panne de l’ascenseur social pour les gens venus d’Afrique : « On doit en faire dix fois plus que les Blancs pour montrer nos compétences… Je dois tout à la France mais elle n’a pas su profiter de notre savoir-faire. On aurait pu être porte-parole de la France en Afrique, avec un pied sur chacun des continents. » Son rêve, aujourd’hui : intégrer un laboratoire scientifique d’anthropologie ou d’ethnologie à l’université. « Il faut expertiser la mosaïque ethnique de Nanterre, analyser comment toutes ces populations se sont retrouvées ici. Rendre visible toutes ces cultures ! » Mère célibataire, elle a élevé seule ses trois enfants. Sa fierté : ne jamais courber l’échine, toujours se battre, ne jamais tendre la main : « La main qui demande, elle est toujours en dessous… »