« Il y a six mois, il était sauvage. Quand on entrait dans son box, il se plaquait tout au fond. Je m’en suis occupé comme d’un enfant qu’on aurait
laissé de côté. J’ai pris le temps, je l’ai rassuré, je lui ai fait et donné confiance. » À côté de Vegas, grand et puissant cheval qui peut désormais
être monté par tout le monde, Djibril Sako paraît encore plus fin et élancé. Au centre équestre de Neuilly où il enseigne à une clientèle « exigeante », tout le monde le connaît. Mais comment en est-il arrivé là ?
Deux mondes se rencontrent
Fin des années 2000, Djibril a 13-14 ans. La Ferme du bonheur organise un salon de thé nomade au pied des tours Aillaud, où vit Djibril
avec ses frères et sœurs. « Le soir, on y allait boire le thé, on prenait soin des animaux. » Quand ça s’arrête, il tourne en rond. Alors il cherche
sur internet comment se rendre à la ferme. En cachette de son père dans un premier temps, car « pour lui, c’était seulement foot, foot, foot », mais
avec l’autorisation de sa mère, Djibril passe tout son temps libre là-bas. Il y rencontre sa bonne fée, Dominique Le Floch, une Nanterrienne qui
l’aidera désormais dans toutes ses démarches et le soutiendra pendant les coups de blues. 2010, Djibril doit faire son stage de troisième.
L’ado a le goût du défi : « Je suis allé avec mon CV au poney club de Rueil-Malmaison, en disant que j’adorais les chevaux. Ça a marché. ». À l’issue de son stage, Djibril fait une proposition au club : « Je vous aide à nettoyer les boxes et vous me faites monter. » L’équitation coûte très cher
et c’est surtout un autre monde : « Quand t’es black et que tu viens d’une cité, tout le monde te regarde. Au début, c’était compliqué. Mais c’est
devenu une force, pour montrer que moi aussi je pouvais y arriver ! »
L'art de l'échange
Tout s’enchaîne ensuite très vite. Djibril décroche des stages dans de grands clubs, en échangeant des cours contre du travail
bénévole à l’écurie. Il passe un certificat de soigneur d’équidés, un bac conduite et gestion d’une entreprise hippique, puis un brevet professionnel en alternance au haras de Jardy. Impossible cependant de prétendre passer le diplôme supérieur, celui d’entraîneur : « Il faut avoir son cheval et monter beaucoup. » Mais Emmanuel Feltesse, le directeur de Jardy, lui donne sa chance : « Il m’a dit : “Je finance tout et, en échange, tu t’occupes de dresser des chevaux pour moi.” C’était génial ! » Djibril travaille sept jours sur sept, de 7h du matin jusque tard le soir, et donne en plus des cours pour gagner un peu sa vie.
Grand compétiteur
Sélectionné en finale des championnats réservés aux jeunes chevaux de concours complet, il se fait remarquer et on lui propose de partir à Dakar gérer une écurie dépendant de la Fédération française d’équitation. Très vite, elle remporte tous les championnats ! De retour en France, il est recruté par le centre hippique de Neuilly. Il y enseigne et a monté une équipe de compétition en saut d’obstacles avec les championnats de France pour objectif : « Mes élèves gagnent quasiment tout le temps. Quand on nous voit arriver en concours, les gens disent “Voilà encore le grand black, il va tout gagner !” » Dans dix ans, Djibril se voit propriétaire d’une écurie, marié, avec des enfants. Pour l’instant, il veut continuer à progresser et à transmettre sa passion : « L’équitation est une école de discipline et de relâchement, ça apaise. J’aimerais faire découvrir cela aux enfants de ma cité. J’ai avancé vite mais au prix de beaucoup de sacrifices. Mes origines, mon parcours sont mes forces. J’ai appris à ne jamais baisser les bras. Il faut oser ! »