Ils et elles font Nanterre

Portrait

Christophe Rauck, l’artisan du théâtre

Écrit par : Catherine Portaluppi

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Christophe Rauck, directeur du théâtre Nanterre-Amandiers.

Un choc esthétique, une rencontre, des textes « plus grands que soi » et des portes ouvertes « à force de volonté ». À 57 ans, le nouveau capitaine de Nanterre-Amandiers est un metteur en scène reconnu, un directeur aguerri, heureux de prendre les rênes de ce théâtre « habité par une grande histoire ».

Son grand-père était mécanicien dans le Sud. « Un mécanicien de la grande époque, celle où on refaisait les moteurs. Il m’a appris à me servir de mes mains, à travailler le métal, à souder. C’est lui qui m’a structuré, lui qui m’a dit ces deux phrases qui m’accompagnent encore aujourd’hui : “Un métier, ça ne s’apprend pas, ça se vole !” et “Finir demande un cœur d’acier.” »

Ses débuts auprès d’une grande dame

Pour Christophe Rauck, le chemin a commencé en 1984 alors qu’il assistait aux répétitions de L’Illusion comique de Corneille, mise en scène par Giorgio Strehler à l’Odéon. Un « choc esthétique » qui lui a ouvert la porte d’un « autre monde, poétique. Tout [lui] parlait ». Très vite, il devient acteur et intègre la troupe du Théâtre du Soleil, animée par Ariane Mnouchkine, « une aventure exceptionnelle avec quelqu’un d’exceptionnel ! J’y suis entré en me disant que c’était vraiment l’endroit où je voulais être. D’où la complexité du départ : si c’est L’endroit, pourquoi s’en aller ? » Il y apprend ce qu’il appelle les outils du théâtre : « Artistiquement, c’était très concret, autant que la scie à métaux de mon grand-père. Grâce à Ariane, j’ai pu penser l’objet pour que l’outil prenne du sens, comme on pense et dessine une voiture avant de la construire. » Il se lance dans sa première mise en scène avec Le Cercle de craie caucasien de Brecht, dans un squat, avec ses amis du Soleil. « Ariane m’a dit : “Tu es metteur en scène !” et a présenté la pièce à la Cartoucherie. C’était simple et évident alors que je n’avais jamais pensé faire ce métier. Sans elle, je n’aurais pas pu affronter ce mot, trop fort pour moi. »

Le texte décide

Après un stage de mise en scène à Saint-Pétersbourg et plusieurs pièces créées, Christophe Rauck devient directeur de théâtre. « C’est le même métier. Quand on est plombier, au bout d’un moment, on crée sa propre entreprise ! Diriger des théâtres m’a permis d’avoir les moyens de monter mes propres spectacles. » Car le jeune homme ne vient pas du sérail, ne sort pas d’une grande école d’art dramatique. Il lui a fallu mettre le pied dans la porte. Pour lui, c’est le texte qui décide : « Il faut faire le chemin vers plus grand que soi, aller vers Shakespeare ou Marivaux et non les ramener vers soi, écouter la musicalité du texte, ses battements de cœur. » Un amour du texte qui l’a poussé à ouvrir une classe d’auteurs dramatiques au Théâtre du Nord : « Les acteurs sont singuliers, mais les auteurs sont passionnants ! » Récompensé du Grand Prix 2012/2013 du Syndicat de la critique pour sa mise en scène des Serments indiscrets de Marivaux – « une langue sublime » –, Christophe Rauck, qui aime le souffle épique des grandes histoires, dit aujourd’hui rechercher surtout de beaux rôles de femmes, « qui portent la parole du monde ». Ainsi, en 2020 au Théâtre du Nord, il a monté La Faculté des rêves de Sara Stridsberg, une biographie-fiction de la féministe américaine Valerie Solanas, laquelle a tenté de tuer Andy Wahrol en 1968.

Les beaux fantômes des Amandiers

« Hyper heureux » d’être nommé aux Amandiers, là où il a fait ses premières armes de spectateur, le nouveau directeur raconte l’émotion provoquée par ce lieu « habité par une histoire très forte, plein de beaux fantômes ». Pour convaincre le public, il parie sur des spectacles laissés plus longtemps à l’affiche afin de leur donner le temps de s’installer et, au bouche-à-oreille, le temps de fonctionner. Après les travaux, il imagine des saisons partagées avec des noms du théâtre contemporain : Julien Gosselin, Joël Pommerat, Tiphaine Raffier et Anne-Cécile Vandalem. Au programme aussi, des actions artistiques et des créations en établissements scolaires ou en appartements. Enfin, il vient de fonder l’Atelier, une formation en deux ans pour 12 jeunes comédiens – 500 candidatures reçues. Son rêve : créer une école des métiers de la scène (lumière, son, plateau, etc.). « Le théâtre est le dernier art collectif, un concentré d’intelligence, un bouillon de culture et d’inventivité. La jeunesse c’est contagieux, ça fait bouger les choses ! »

Nanterre-Amandiers entre en travaux pour deux ans : à partir d’octobre, une nouvelle salle sera ouverte dans les ateliers de fabrication de décors. La programmation 2021/2022 sera dévoilée ce mois-ci.