Ils et elles font Nanterre

Talents

Révélatrice de splendeurs passées

Écrit par : Catherine Portaluppi

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La jeune architecte Morgana Borrull a participé au chantier de restauration de l’hôtel de la Marine, un palais du XVIIIe siècle situé place de la Concorde.

Savoir que le fil de fer d’origine, qui actionnait la sonnette entre la chambre de l’intendant et celle de son domestique, existait toujours deux siècles plus tard ; apprendre qu’un morceau de papier peint du XVIIIe siècle a été déniché sous des couches de peinture, puis dupliqué et retissé pour recouvrir les murs ; découvrir le cabinet des glaces, où le premier intendant recevait sa maîtresse, avec ses miroirs couverts de peintures de jeunes femmes dénudées, rhabillées plus tard par la femme du nouvel intendant choquée par tant d’indécence ; admirer le cabinet doré où il a fallu quarante heures de travail pour dégager un seul mètre de panneaux de bois et de corniches du XVIIIe sous des plaques d’inox. Découvrir aussi des meubles rapatriés de l’Élysée, un dallage à cabochons ou des mètres de damas d’époque trouvés chez des antiquaires : visiter le nouvel hôtel de la Marine avec Morgana Borrull, c’est plonger à la fois dans un passé raffiné et dans le présent exigeant d’une restauration ultra documentée.

Morgana a 29 ans, elle a grandi à Nanterre, elle est membre de la Société d’histoire de la ville, et, pour son premier boulot d’architecte, elle s’est retrouvée du jour au lendemain assistante chef de projet sur la restauration de ce lieu prestigieux. L’hôtel de la Marine, situé sur la place de la Concorde, a été construit au XVIIIe pour abriter le garde-meuble du roi Louis XV et de son intendant. La foule parisienne s’y pressait pour admirer les plus belles pièces du mobilier royal. Occupé ensuite durant deux siècles par le ministère de la Marine, l’hôtel est restauré depuis trois ans à la demande du Centre des monuments nationaux, sous la férule de Christophe Bottineau, architecte en chef des Monuments historiques, le patron de Morgana.

Toute petite déjà, Morgana Borrull aime dessiner, plutôt des paysages, des espaces. « C’est génial d’avoir le pouvoir de retranscrire ce qu’on a dans la tête ! » Malgré un accident à la main droite qui la contraint, enfant, à devenir gauchère, sa passion ne la quitte pas. Elle obtient un BTS agencement à l’école Boulle où elle a « énormément appris sur les métiers d’art », puis elle réussit le concours d’entrée à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles. Elle en sort diplômée en 2018. À l’hôtel de la Marine, pendant deux ans, elle assure le suivi de chantier avec les entreprises : « Le plus compliqué techniquement, c’est de faire passer la technologie du XXIe siècle et d’organiser la mise en accessibilité dans des bâtiments qui ne sont pas conçus pour ça. » Pas simple non plus de débuter avec un projet d’une telle envergure : « J’avais peur d’être trop jeune, pas prise au sérieux. On m’a dit : “L’important, c’est de savoir écouter.” Le chantier, c’est une affaire d’hommes mais ils apprécient la rigueur et la loyauté d’une femme. L’architecte est un chef d’orchestre qui concilie tous les métiers afin d’obtenir le meilleur résultat possible. À l’école, tout le monde rêvait de marquer l’histoire, d’être le nouveau Frank Gehry. Moi, je préfère les vieilles pierres, elles ont une âme ! » Très fière de cette première mission, elle aimerait devenir architecte du patrimoine pour continuer à redonner leur lustre d’antan aux bâtiments, et à s’émerveiller de la virtuosité des restaurateurs : « Sans ce type de chantier, il serait impossible de préserver le savoir-faire des artisans d’art ! »