Ils et elles font Nanterre

Portrait

La force de repartir à zéro

Écrit par : Catherine Portaluppi

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Refuser d'être materné, revendiquer sa liberté, aller jusqu'au bout de ses choix, se heurter au difficile recrutement des personnes en situation de handicap, reprendre des études à 30 ans : tel est le parcours de Marc Massamba, Nanterrien non-voyant, devenu un masseur kinésithérapeute heureux !

« Quand j’ai perdu la vue alors que je venais de décrocher ma licence d’administration économique et sociale à Nanterre, mes parents m’ont demandé de rentrer chez eux. Ils voulaient me protéger. Mais c’était impossible pour moi, je voulais continuer à vivre ma vie, à être libre ! » Marc Massamba, déficient visuel depuis l’enfance, passe ses premières années en France avant de suivre ses parents à Brazzaville au Congo.

Un Glaucome non dépisté

À 17 ans, alors que sa vue baisse beaucoup à cause d’un glaucome non dépisté, il repart pour la France se faire soigner. D’abord scolarisé en lycée ordinaire, il rejoint finalement l’Institut des jeunes aveugles (IJA) à Paris où il obtient son bac. Il a 24 ans quand il perd définitivement la vue à la suite d’une poussée hypertensive dans l’œil lors d'une opération de la cataracte. Jusque-là, le jeune homme a lutté pour vivre le plus normalement possible. « À l’IJA, on nous proposait des orientations adaptées à notre handicap, que l’on pouvait étudier tout près, à l’association Valentin Haüy. Assistant informatique, standardiste ou kiné par exemple. Mais j’avais envie de la fac, de sortir du cocon surprotégé de l’école. Je voulais un métier en contact avec les gens, j’ai choisi d’étudier les ressources humaines. »

Ne jamais rien lâcher

Au cours des années 2000, pas si simple de suivre des études à la fac quand on est mal voyant, puis aveugle. Il faut se débrouiller seul quand le prof distribue des photocopies, trouver une association qui va les scanner afin de grossir les caractères. Seuls les examens sont pensés pour son handicap : un secrétaire lui lit les sujets, Marc rédige sur ordinateur ses réponses, recopiées ensuite à la main par le secrétaire – histoire de préserver l’anonymat de son travail. « À l’époque, il fallait de la volonté pour tenir. Moi, je ne lâche rien, jamais ! » Le jeune homme apprécie le campus nanterrien, il s’y fait des amis et s’entraîne à la piscine. Il décroche des stages en entreprises et se heurte aux premières difficultés : les logiciels métiers sont rarement adaptés à son outil de synthèse vocale qui luit lit l’écran. Diplômé, il se lance en 2012 à la recherche d’un premier emploi. « Les entretiens se passaient bien mais ça coinçait quand on arrivait à la partie technique. Ce qui est en jeu, c’est la peur du recruteur qui ne connaît pas ce handicap, et son refus de faire des efforts. Il faudrait que les contributions payées par les entreprises qui n’embauchent pas assez de personnes handicapées soient rédhibitoires ! C’était très frustrant, d’autant que je m’étais beaucoup battu pour arriver jusque-là. J’avais un sentiment d’injustice profonde. » Durant ces trois années de vaines recherches d’emploi, Marc vit grâce à l’aide de ses parents et à son allocation adulte handicapé.

Une reconversion gratifiante

Le déclic de la reconversion vient quand il discute avec ses anciens amis de l’IJA devenus kinés. « J’ai trouvé en moi cette force de repartir à zéro. Je me suis dit : “Serre les dents pendant cinq ans, ça vaut la peine !” » Marc est ravi de sa reconversion : « C’est un métier utile, gratifiant, où l’on reçoit beaucoup de reconnaissance. » Il est aussi heureux d’avoir vécu la plupart du temps en milieu ordinaire : « Ça m’a appris le courage, la persévérance et à me débrouilleur seul. J’y ai intégré les codes sociaux, par exemple à toujours regarder la personne avec qui je parle. En même temps, c’est à l’IJA que j’ai appris qu’on pouvait vivre, étudier, travailler en étant aveugle. Ça m’a rassuré. » Aujourd’hui, Marc voyage beaucoup et ne se refuse rien à cause de son handicap. « Ma philosophie est la suivante : mon seul risque, c’est de gagner, de rencontrer des gens, de découvrir des choses. Si je reste à la maison, rien ne change. Paradoxalement, j’avais beaucoup plus peur du monde et de l’extérieur quand j’étais malvoyant, que je voyais seulement à un mètre ou deux. Perdre la vue m’a rendu beaucoup plus libre, c’est la beauté de la vie ! »