La guerre en Ukraine domine une actualité dramatique qui ne doit pas occulter la parution, le 28 février dernier, du second volet du rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat); les deux sujets sont en fait intimement liés. Pour reprendre les termes du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, ce rapport illustre l’« impréparation criminelle » du monde face au changement climatique. Il nous est confirmé que les émissions de gaz à effet de serre devraient continuer d’augmenter de 14 % au cours des dix années à venir (alors qu’elles devraient baisser !), ce qui aura pour conséquence de précariser encore davantage la situation des 3,3milliards de personnes d’ores et déjà placées dans une situation de vulnérabilité en raison du changement climatique. D’ici à 2050, 1 milliard de personnes risquent d’être dans une zone côtière inondable. António Guterres estime que ce rapport met en évidence deux vérités fondamentales.
La première est que le charbon et les autres combustibles fossiles étouffent l’humanité.
La deuxième vérité, un peu plus positive, est que l’investissement dans l’adaptation aux changements climatiques marche. L’adaptation sauve des vies.
C’est à la lumière de ces énonciations que notre dépendance au gaz naturel et au pétrole russe doit être examinée. Alors même que nous avons réagi à l’agression russe contre l’Ukraine en prenant des sanctions économiques fermes, nous continuons de nous approvisionner en gaz russe, acquis à un prix record. Le risque dans ce contexte est de céder aux « sirènes » des lobbies du nucléaire, à l’instar du pouvoir en place qui, outre le pari hasardeux de prolonger les installations actuelles au-delà de cinquante ans, s’est engouffré dans son discours de Belfort dans une logique d’essaimage allant jusqu’à envisager 14 EPR nouvelle génération. Cette approche pourrait paradoxalement être renforcée par les évènements récents, alors que l’incendie de la centrale nucléaire de Zaporijia (la plus grande d’Europe !), provocation ultime d’un despote cynique, aurait pu être à l’origine d’une nouvelle tragédie plus grave que celle de Tchernobyl.
Notre stratégie n’est pas celle de la bougie ni celle du rationnement, comme l’envisage Bruno Lemaire en évoquant des restrictions de chauffage pesant sur les particuliers, mais celle d’une sobriété intelligente et choisie, dotée d’un plan d’investissement à l’échelle européenne dans les énergies renouvelables et dans la rénovation énergétique de près de 5 millions de passoires thermiques en France. Ce plan d’investissement doit être prolongé localement par un « volet solidarité » à destination des plus précaires, soumis le plus souvent à la double peine d’un foyer énergivore associé à une exigence de déplacement en voiture pour « assurer » le quotidien. Ne disposant pas d’une capacité d’investissement adaptée, ils ne sont pas en mesure de bénéficier des aides au changement de véhicule ou à la réalisation de travaux. Cette solidarité devra continuer de s’exprimer au niveau international, car les carences et la hausse des prix des matières premières, soulignant la dépendance alimentaire des États, risquent de provoquer des famines partout dans le monde. Pour y parvenir ,il ne suffira pas de théâtraliser des actions correctrices des inégalités ; il nous faudra réinterroger notre rapport à la terre et à ses ressources.
